Hot-Rod : Hoped Up…
C’est un putain de Hot-Rod rigide comme une enclume qui te casse la colonne vertébrale en 10 minutes ! Hallucinant ! Les Hot-Rods font fuir les “tout le monde bien pensant”, les “politiquement-correct”, à part les dingues, les gonzomaniaques, les désaxés et les déments, personne n’en veut plus depuis que le Covid19 a changé toutes les habitudes… surtout celles “des ceusses” qui chialent de leurs malheurs en s’arrachant les cheveux parce qu’ils sont tristes tout le temps, parce qu’ils ne comprennent rien à la vie, parce que leurs cœurs explosent étouffés par la merde et parce qu’ils sont persuadés qu’ils vont mourir d’avoir attrapé ce virus.
Année après année, qu’est-ce qui pousse Richard à continuer d’aimer les Hot-Rods ? En 65 ans d’activisme en Kustom, cet octogénaire a développé sa passion, cultivant à la fois une identité officielle assumée et de multiples incursions en terrains marécageux moins balisés pour laisser libre cours à son imagination. Qu’aurais-je à écrire de plus ? Rien ! On pourrait d’ailleurs en rester là après avoir regardé la vidéo et les photos ! Il n’y a rien de plus à dire si ce n’est déconner grâââââve de la passion musicale de Richard dont 99;999% des habitants de la planète se foutent totalement.
Richard a été de toutes les aventures liées au Hot-Rodding, si bien qu’il est aujourd’hui, en fin 2020, aux yeux d’une poignée de Hot-Rodders Yankee, l’un des survivants de ce courant maintenant mythiquement underground qui prit forme à la fin des années ’30 et fin des années ’40. Sans jamais le revendiquer, il parle pourtant pour tous ceux qui n’ont pas eu accès à cette reconnaissance relative dont il semble se ficher, prouvant combien les envies qu’il aura suscité auront été comblées et bien comblées, même si elles ne correspondent plus vraiment aujourd’hui à ce qu’elles pouvaient laisser croire qu’elles étaient.
En malmenant sans cesse son propre univers, Richard y a fait entrer toutes sortes de directions qu’il a toutes explorées. Finalement plus à l’aise qu’il ne l’a jamais été auparavant, Richard avoue avoir arrêté de se mentir à lui-même ! Résultat : ces dernières années, il s’est lancé dans la “Zique” et a sorti un DVD de Rock-Country-Symphonique, démontrant un incontestable talent de musicien, une initiative gratuite en collaboration avec un véritable et incongru orchestre symphonique, une expérience unique s’il en est, qui a été enregistrée lors d’un concert à New-York !
Adepte du contre-pied, Richard a combiné un duo avec une musicienne New-Yorkaise, qui a fait ses premières armes par PC’s interposés courant 2006, les 15 morceaux proposés étant le résultat d’une collaboration qui ne ressemblait à rien de ce qu’avait pu proposer la Rock-Country à ce jour ! Savoir sans cesse se renouveler, voilà la réelle capacité spéciale de Richard le caméléon. Mais cela n’est sûrement pas un renouvellement par obligation ! Ce qui lui parle avant toutes autres choses aujourd’hui à l’écoute de ces “ziques”, c’est une simple et délicate évidence : celle qui dévoile l’honnêteté d’une démarche avant de chercher à en expliquer les rouages !
Plus fort encore, la sincérité ne suffisant bien évidemment pas à réaliser de la qualité, Richard et sa symphoniste (qui est sa copine de jeux sexuels et textuels) y ajoutent un mélange synthétique qui donne naissance à un vague “électro-hip-pop” qui recouvre délicatement chacun de leurs morceaux, sans jamais paraître déplacé ou factice. C’est un résultat que l’on doit d’abord aux qualités de sa symphoniste qui, sans façonner des morceaux d’une complexité folle, applique minutieusement à chaque pulsation une patte sonore qui crée une identité personnelle. Et ce qui aurait pu s’avérer comme une tentative de fusion vaine se révèle une réussite de bout en bout.
Quelques effets ici et là, un clavier délicat qui livre un semblant de mélodie jamais vraiment laissée à l’air libre, toujours légèrement retenue dans son déroulé, comme pour souligner ce côté bancal et indéterminé. Une errance stylistique cultivée avec application qui trouve son exact reflet dans le style Hot-Rodder de Richard qui a toujours fait montre d’une inclinaison toute particulière à aborder des sentiments aussi diffus que la nostalgie, le regret, le désespoir amoureux et tant d’autres. En filigrane ou totalement affirmés, ces thèmes parcourent chaque vaisseau qui irrigue sa vie depuis toujours.
Cette sensibilité qu’il n’hésite plus à exposer aujourd’hui, Richard l’exprime sans ambages sans jamais tomber dans la sensiblerie mièvre, Richard gratte avec application ses plaies pour révéler ce qu’elles dissimulent, plus loin que les croûtes qui se forment à la surface. Ce fameux flow rocailleux qu’il cultive se révèle ici un outil redoutable pour arpenter les breaks et se fondre dans les nappes de synthés. Sa montée en intensité vocale est accompagnée par le piétinement des claviers qui l’accompagnent et parsèment le morceau d’éléments sonores.
Hoped Up fait se succéder des morceaux à l’impact tout à fait étonnant alors que Richard ne s’était jamais réellement exposé à un tel univers ! Peut-être, au final, la condition sine qua non à l’élaboration d’un opus de cette trempe, soulevant avec autant de pertinence des thèmes présentés les uns à la suite des autres qui prennent alors une dimension plus étrange encore, un aspect “ectoplasmique” où apparaissent puis disparaissent des éléments musicaux sans jamais qu’on sache ce qu’ils deviennent dans une noirceur insondable.
Parenthèse curieuse s’il en est, on est propulsé dans un univers stratosphérique soutenu par un déferlement sonore qui fait entrer dans une dimension inédite : le luxe d’un hommage de grande valeur aux Hot-Rods qui semble dire aux néophytes : “Voilà d’où je viens, ne l’oubliez pas !”. Bien entendu, être sensible aux pulsations électro et au déferlement de synthés en tous genres, est un pré-requis pour se plonger réellement dans l’univers de Richard. Mais un esprit ouvert n’aura pas de mal à se laisser convaincre par son énergie, un cycle de notes qui se succèdent les unes aux autres et qui cherchent, à chaque fois, à tendre vers un cheminement en forme de courbe ascendante destinée à atteindre un climax constamment recherché.
En bout de course, lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements les plus éloignés, la mélodie donne naissance à un moment jouissif mais qui n’a plus grand-chose à voir avec l’identité originelle. Au rythme martelé par les valves rougeoyantes recouvertes de sang de ce cœur exposé à vif comme un sujet d’examen minutieusement décortiqué pour prendre les armes et ouvrir la chasse aux rapaces diurnes et nécrophages non sans s’être légèrement déplumés au passage et revenir à l’essence même des choses !
Richard n’a eu de cesse d’aller chercher toujours plus profond, révéler cette flamme d’une noirceur égale à la somme de délires textuels débités à un rythme lancinant et hypnotique, presque une pulsation cardiaque essentielle et première dénuée de tout artifice. Alors qu’il n’avait eu de cesse de révérer un swing chaloupé, il dépouille désormais ses beats comme pour contre-balancer ses productions chiches par un impact plus net et direct, à l’image d’un coup de pioche dans une roche dure comme l’acier.
Aller plus loin encore dans l’orientation choisie, c’est un jusqu’au-boutisme musical à la logique implacable qui semble porter le duo vers un univers ensorcelant et abrasif comme retenu dans un mouvement perpétuel par des incantations couplées à des sortilèges primaires où les ingrédients mis en avant sont portés jusqu’aux limites d’eux-mêmes afin d’expulser une nouvelle dimension dont on suspecte qu’elle se trouve bien ici sans jamais en être véritablement persuadé.
C’est aujourd’hui chose faite ! Pour honorer cet assemblage toujours plus obscur, Richard a réuni un ensemble instrumental tiré d’une poignée d’instruments, cuivres, batterie, cordes aux prédominances incontestables, le tout habillé d’interventions live par petites touches ici et là. Parmi ces instruments, l’utilisation de la contrebasse semble avoir fait l’objet d’une attention toute particulière, attirant dans son sillage une bonne dose de mysticisme tout en distorsions et en graves appuyés d’une lourdeur non-feinte.
Peut-on trouver meilleure preuve de ce crédo musical perfectionné si statique et froid, une combinaison d’une contrebasse grimaçante au possible, aux rebonds perdus et d’un violon plaintif et agaçant qui souligne avec une redoutable efficacité les propos complètement allumés de Richard concernant son Hot-Rod utilisé à des fins toutes autres ne pouvant laisser place qu’à un hochement de tête significatif où végètent la peur, l’angoisse, la haine, la maladie, la vengeance, les hallucinations les plus bizarres de son esprit.
Dans cet assemblage de névroses dignes du premier cortex humain venu, il navigue à vue, maniant les unes et les autres avec une habileté textuelle exemplaire. Les suiveurs ne sont d’ailleurs jamais surpris : Richard n’a pas attendu bien longtemps pour se révéler être un conteur hors-pair, au flow jamais vraiment rappé ; pas réellement du “spoken word” non plus. Quelque part entre les deux, s’appuyant à dessein sur des pulsations synchrones pour déployer à son rythme ses propres angoisses.
Jamais dissimulées par de quelconques fioritures, elles peuplent allègrement l’espace, évoluant comme bon leur semble. Plus qu’il n’en faut pour saisir pleinement la dimension toute particulière de ses propos. Bien sûr, son incontournable réussite est un hit à la puissance brute pure. Sur un parterre de violons lugubres, un schéma rythmique inflexible, quelques ajouts de cuivres, un saxophone débridé au possible pour habiller son récit avec un refrain entêtant qui ne quitte plus les oreilles : “I’m praying for the big sleep to lay me down easy / Swing low, sing sweetly / No pulse, pale eyes, can’t reach me”.
Enfermé à double tour dans un huis clos angoissant on est alors en proie aux peurs les plus primaires : celles de l’environnement direct, n’ayant pour seule issue qu’un appel vain au sommeil ultime libérateur. En tout et pour tout, on ne trouve que les névroses qui l’habitent : “Radiator from hell shaking, spittin’ up steam / Drunk cops on the rooftop blowing shots at the stream / Caught in between the crosshairs and walking the plank / And now I’m lost in the haze of the fog of the dream”.
Loin des egotrips routiniers, Richard présente des combinaisons réfléchies et travaillées, parfois complexes à saisir sans une véritable implication et un détour constant dans les travées louches sans vraiment risquer quelconque erreur d’appréciation, il paraît évident d’affirmer la force de cette formule créée à deux est portée à maturité. De fait, une expression autoritaire et sans réelles hésitations de l’essence musicale de ce duo semble avoir atteint un climax dogmatique pour le moins jouissif et envoûtant.
La beauté du désenchantement d’hier a laissé sa place à l’horreur du cauchemar devenu réalité : sans aucune forme de diplomatie, Richard et sa compagne déposent avec application leurs délires au cœur d’une zone où la lumière semble ne jamais pouvoir percer, en dépit de cent, mille, dix mille écoutes. Le foyer rougeoyant et chaotique n’est plus. En lieu et place, un brasero habité par une unique flamme froide et imperturbable. Dure, tranchante et implacable !