Le mythe du Hot-Rodder solitaire…
Un mot, il existe un mot qui résume à lui seul ce reportage : déconcertant (foutraque éventuellement)…, déconcertant dans sa genèse, il a tout du mirage, de l’invraisemblable et plus dingue encore il a une tendance “science-fictionnesque-passéiste”…, déconcertant aussi dans son aboutissement, c’est une sorte d’article inclassable se jouant des modes, des attentes et des pronostics.
S’il va peiner certains à être convaincus (au moins jusqu’à un certain pont de non-retour), chaque phrase n’en finissant plus de finir (trop de bavardages, trop d’explications…), c’est dans un style déjanté et fou furieux fonctionnant avant tout sur une part d’inconnu, que cet article va amener un lot de surprises et de découvertes !
Transformer toute trajectoire (en ligne droite) en parcours initiatique de l’inclassable condition humaine (aller à la rencontre de son destin, avancer coûte que coûte)…, alors que les enjeux n’ont rien d’originaux parce qu’on a déjà vu ça des dizaines et des centaines de millier de fois : ce reste d’humanité post-apocalyptique d’une plèbe reléguée au fond ou en bas, avec les riches toujours aux plus belles places…, sans plus de cette rébellion qui cherche à briser les injustices et les inégalités…, tel est le mythe du Hot-Rodder solitaire : pouvoir survivre sur les routes goudronnées, mais vivre d’abord avec dignité en gagnant un max de dollars.
Au cœur de cette arche mécanique où l’homme retrouve inévitablement sa nature première et ses vieux démons (avilissement, endoctrinement, répression et exploitation de l’autre), la lutte des classes outrepasse celle pour son destin, même si un Hot-Rodder ne sacrifie jamais son style si caractéristique (mélange des genres et des effets, sens du Rock’roll, virtuosité de la conduite en ligne droite) !
Avec un humour “western” qui tranche la caractérisation de certains personnages (la révolte mécanique se fait souvent dans la mort et dans le sang)…, l’espoir d’un Hot-Rodder, au bout du compte, est parfois réduit en miettes, pulvérisé dans les chromes et les flammes, perdu dans l’immensité d’une route où il roule sans savoir vers quoi, seul face aux menaces du monde !
C’est ça le Hot-Rodding, un mix constant de fabuleux et de crade, pas grave à vivre (enfin pas complètement grave)…, mais d’oser l’écrire, certain qu’un Hot-Rockeur franchouille de banlieue, va venir m’éructer en pleine poire qu’il exige une explication franche suite au papier que j’ai griffonné dans une partie du monde hallucinant (et halluciné) du virtuel occupé par GatsbyOnline, où je dis le plus grand mal du sens de la vie.
Je m’imagine déjà traîné sur le périph’ derrière une grosse cylindrée ou attaqué au cran d’arrêt dans un terrain vague par des loubards customizateurs de franchouilles surgis d’une BD de Margerin…, à ma troisième mort, certain que tout s’arrangera, ils s’apercevront qu’en fait, loin d’être un bourrin, il s’avérait que j’étais un passionné, défendant bec et ongles une certaine esthétique du Hot-Rodding : celle, pure et dure, des origines.
Auto-interview exclusive de Patrice De Bruyne par Patrick Grenson !
Patrick Grenson – Salut… Le temps passe…
Patrice De Bruyne – Quelques années ont passé depuis Chromes&Flammes… et je suis toujours là à continuer à publier de temps en temps des textes de merde (là, je déconne).
PG – Tu n’as jamais eu envie de faire autre chose ?
PDB – Si, je m’y suis essayé mais j’ai aucun talent pour ça, et j’aurais eu énormément de mal à accepter que ce que je faisais soit naze, il faut que ça soit tout de suite génial. J’ai fait pire, je connais pas mal de choses, mais je suis pas bon non plus dans le n’importe-quoi. Il y a plein de gens, qui se sont projetés dans mon abstract et qui pensaient que je ferais un excellent politicien de merde, mais j’aurais pas assumé d’être trop bon en me rendant compte que la vie c’est assez glauque, que d’écrire gratuitement des conneries de chef-d’œuvres n’est pas le pire métier du monde mais que ce n’est vraiment pas marrant e trop se poiler, d’autant que les journaleux sur qui je vomis avec allégresse ne font ça qu’à des fins alimentaires, qu’ils sont usés par les milliers de kilomètres qu’ils font virtuellement dans leur salle de rédaction, à répétition…
PG – C’est finalement un taf comme un autre.
PDB – Pire, encore plus glauque, ils sont complètement décérébrés, ballottés de leur salle de rédac’ aux chiottes en passant par la machine à café !
PG – Y parait que du temps de C&F, des lecteurs venaient te voir en hurlant parce que tu devais être disponible pour eux de faire des articles et photos sur leur machine, alors que t’avais juste pas envie.
PDB – Ouaissss…, c’était l’époque ou dans ces trips, je devais bouffer dans des caterings pourris tous les jours, à la longue je savais même plus où j’étais physiquement à force de faire des kilomètres. Ça m’a refroidi. Les kustomizeurs franchouilles, dans les concentres, vers la fin du barnum, ils se parlaient même plus, les mecs étaient tellement blasés qu’ils ne se branlaient même plus à la vue d’un vrai Dragster ou d’un Hot-Rod d’enfer. C’était l’usure. Ils avaient derrière eux dix ans au taquet, de bricoles sans valeur surmédiatisées par Nitro. Ils étaient juste prisonniers de leur statut, obligés de continuer parce qu’il y avait plein d’enjeux débiles dans leur tête.
PG – Quoi faire d’autre ?
PDB – Maintenant c’est encore pire, tu les vois partir avec leur valise, faire leur set qui va leur rapporter 100 euros pour un article pourri…
PG – Ils ne se font plus beaucoup de thunes ?
PDB – Effectivement, dans le Hot-Rodding franchouille tu bosses pour la gloire. Je suis bien placé pour dire que perso, je fais des milliers de kilomètres à l’année et que ça rapporte rien. Fallait être ultra motivé du temps de C&F : je savais pas où j’allais, je me tapais 800 bornes aller, 800 bornes retour pour faire un reportage sur un Dragster ou un Rod ou un Custom dans un trip à coté d’un bouge infect ou il y avait 50 ahuris qui se prenaient au sérieux ! J’en ai eu marre de bouffer un taboulé en boîte, de dormir par terre dans le salon de l’organisateur… Je le faisais pour moi, confiant que C&F deviendrait un super Mag’, mais les journaleux de Nitro et Rod&Customn les zaffreux pique-assiettes haineux, ils faisaient pire… et tout ça payé 300 euros bruts la semaine en sachant qu’ils dépensaient 100 euros de péage, 100 euros d’essence et 40 euros de casse-dalle. C’est ça qu’était la culture du Hot-Rocking, de l’underground mécanique. Les journalistes de Top-Gear n’accepteraient jamais ça, ils ont toujours été privilégiés. Marche ou crève. Ouaissss, j’ai eu de la chance !
PG – L’année passée, j’ai couvert une réunion de Custom dans le Nord avec un pote qui taffe à Libé. On est arrivés, c’était la canicule, on n’avait rien à boire ni à bouffer de correct, juste de la flotte chaude, c’était juste la honte. Les mecs qui viennent là-dedans, certains ont dans les 45 ans et ils continuent à dormir dans des sacs de couchage dans leur bagnole…, comme tous les enculés lambda, chacun sa merde.
PDB – C’est pire dans les concentres de Bikers.
PG – C’est vrai, on va juste se faire latter. Ce sont des durs à cuire qui en ont vu de toutes les couleurs. Les incidents ont lieu dès que tu sors du circuit. Il y a une cause commune et ça c’est hyper important pour eux…
PDB – Ils font partie de la grande famille du rock ’n’ roll !
PG – GatsbyOnline est aujourd’hui un site en pointe dans le foutage de gueule et la remise des compteurs à zéro, ça ne t’emmerde pas trop ?
PDB – Non, parce que j’oblige pas les gens à venir lire et que je ne fais rien de mon propre chef pour aller vers eux. Le seul truc un peu pute que je fais, ce sont les articles sans aucune concession. C’est un truc qu’on m’a longtemps reproché mais maintenant les gens se sont habitués. J’aurais encore 30 balais, je pourrais me laisser griser par les articles qui sortent sur moi dans les blogs, mais maintenant que je sais comment ça fonctionne, je m’amuse à démystifier tout. C’est juste une énorme machine qu’il faut nourrir en contenu. Comme je fais ça avec un fort caractère, dans le consensus ambiant c’est normal que je suscite des réactions.
PG – C’est un tabou de le dire, c’est informel, mais tu sais très bien que pour accéder à un certain volume de rédactionnel il est de bon ton d’effectuer un troc : des sous contre de la visibilité…, vu les difficultés que rencontre la presse, ça devient récurrent, et rédhibitoire…
PDB – Il y a un consensus suspect de tous les journalistes pour s’enflammer sur certaines conneries et pas sur d’autres. T’as qu’à feuilleter les magazines : t’as l’article et trois pages plus loin t’as la page de pub, y’a pas besoin d’être très malin pour comprendre qu’il y a un lien de cause à effet entre l’enthousiasme des mecs et la place qu’un bazar va occuper dans les médias. Dans la presse féminine c’est encore pire, la page de faux rédactionnel est à coté de la page de pub ! Comme la presse vit de la pub, ça oriente la ligne éditoriale des journaux. Maintenant que j’ai vendu C&F et que je m’amuse avec GatsbyOnline, ça me touche plus ! Toutefois, lorsque mon dernier Hot-Rod est sorti, le Wanderer, j’ai été naïf d’envoyer des photos en fichier HD à divers magazines, ils ont tous décliné comme si j’étais le diable…
PG – Et tu penses que le lecteur est dupe de ce système ?
PDB – Je pense pas et c’est le problème, les journaux se discréditent. J’ai la chance d’avoir mon média bien à moi et de faire le grand écart entre la presse branchée, la presse ultra ghetto et la presse généraliste. C’est comme L’École des fans, où les gosses ont tous dix sur dix : la presse n’a plus de crédit. C’est très humiliant d’envoyer des photos à des gens qui décident que tu n’existes plus, qui répondent des insultes. De façon objective je n’en avais rien à foutre d’avoir des articles dans la presse, ça ne sert à rien, ça fait juste plaisir à tes proches au repas de Noël de savoir que t’as les faveurs d’un magazine papier. Mais toute cette messe de peigne-culs me fait gerber, on te chie à la gueule, mais quand ils se rendent compte qu’ils sont en chute libre de ventes et que GatsbyOnline affiche officiellement près de 4.000 visites par jour (compteur Xiti), certains viennent me serrer la louche, me faire des politesses, des salamalecs. Je ne suis pas dupe.
PG – Est-ce qu’il faut faire la pute pour se faire connaître aujourd’hui ?
PDB – C’est compliqué. Il faut avoir un côté pute particulièrement sympathique et accessible…, mais pas suffisamment snob pour avoir un discours de taliban et dire à tout le monde d’aller se faire enculer. Dans le Hot-Rodding et le Drag, il y a ce discours latent de l’intégrisme coûte que coûte qui diabolise tout le monde. Faut refuser le dogme des ayatollahs.
PG – Est ce que tu penses que pour fonctionner, un mag’ de Drag et de Rod doit vendre des parapluies, des vestes et des tee-shirt ?
PDB – Du temps de C&F je le faisais, c’était même assez rentable. Il fallait des faisceaux de revenus divers pour faire fonctionner le bastringue, les gens que j’ai découvert étaient extrêmement glauques, la crise était déjà amorcée, la guerre des mag’s allait faire sauter la baraque. Un des grands facteurs de ce souk était la médiocrité des journaleux qui travaillaient dans les grosses structures de l’édition. On a la complaisance, en France, de promouvoir des baltringues et des imposteurs, qui sont là pour de mauvaises raisons, qui n’ont pas la foi. Je pense qu’il y a plus de fraîcheur et d’excitation chez C&F que chez Nitro. Il y a eu pendant des années une négation de toute considération artistique, une volonté de faire des coups, avec en plus la suffisance de se trouver cool. Ces journaleux se retrouvaient dans un grand bureau avec un beau fauteuil et les Kustomeux venaient leur sucer la bite du soir au matin pour avoir un article, un processus de pipolade et de wachi-wacha merdique à courir les concentrations merdiques et ils ont tous fini comme tous ces gens de la presse qui passent leurs soirées dans des bars à se bourrer la gueule. En pleine guerre des mag’s, peu avant la concentre d’Arcachon, c’est comme ça que Jean-Lou Nory a fini, il s’est suicidé au Jack’Daniels, de devoir œuvrer pour quasi-rien dans un mag de Kustom, ça a complètement galvaudé le plaisir que l’automobile lui procurait. En plus avec la crise, ses collègues avaient peur pour leur place et la peur suscite chez l’homme des comportements dégueulasses : tout le monde se chie dessus et prie pour ne pas être le suivant en fayotant et en suçant des bites dans tous les sens, Jean-Lou était très malheureux.
PG – Une des singularités de GatsbyOnline, c’est que tu es quasi seul à tout faire !
PDB – Et c’est usant. J’aimerais te dire que dans vingt ans je serai encore là, mais j’en doute. Ce qui est gratifiant par contre c’est que j’ai un retour immédiat, ce qui est précieux. Toutefois je remarque que les beaufs se sont auto-écœurés, ont fait une grosse crise de foie de l’automobile tant et si bien que pneu à pneu ça sort simplement de leur vie. Leur rapport à l’automobile c’est juste la radio qui tourne dans la bagnole quand ils sont dans les bouchons. L’envie se nourrit de rareté, de la préciosité des choses, aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il est plus intéressant de suivre la chute de l’industrie que d’écouter les boniments des “PR”… Mais c’est également vrai pour notre civilisation qui est un véritable naufrage, c’est Rome ce qu’on est en train de vivre, qu’on laisse la place aux Rebeu, aux Russes ou aux Chinois mais les USA et surtout l’Europe, il faut qu’ils dégagent, qu’on fasse un énorme parking à la place. Aujourd’hui pour susciter de l’envie tu es obligé de sombrer dans le pathétique : faut en faire des caisses pour vendre. C’est quoi l’étape suivante ? La presse qui n’a pas su faire son boulot. Prends dix chroniques, change les titres : tout est interchangeable. Il faut le dire : la presse française, c’est le degré zéro du journalisme. Les journaleux ne comprennent pas que face à cette énorme culture mainstream dégueulasse il faut être dans la contre-culture, et s’il n’y a pas de contre-proposition, ça devient du fascisme…
PG – Merci, c’était très instructif ! Tu vas encore te faire un max de potes !