Rolls Royce V12 27.000cc 2.000cv
Imaginez-vous fin des sixties face à ce qui vous semble être une Rolls-Royce dotée d’un capot de même proportion que le nez de Pinocchio (lorsqu’il ment) sous lequel un moteur d’avion de chasse Spitfire V12 de 27.000cc développant plus de 2.000 chevaux, soit 1.481Kw avec un carburant de qualité 100/150, a été installé… Un véhicule pas comme les autres, pré-construit par Paul Jameson, un passionné anglais dans son garage avec une carrosserie en plastique !
Elle a été moulée sur une Ford Capri MK1. Cette “fausse Rolls-Royce” surnommée “The Beast” sera ensuite vendue seulement 500£ à John Dodd, garagiste spécialisé en réparation de boites de vitesses automatiques qui va se faire connaître, ainsi que cette voiture, dans le monde entier, ce qui va être accentué par “The Beast” en couverture du magazine “Hot Car” en 1973 qui a provoqué la colère de Rolls Royce.
La légende qui s’est tissée autour et alentours de “The Beast” donne un bémol dans la partition en affirmant que les choses ont commencé à se compliquer après la couverture de “Hot Car”… Un propriétaire de Porsche s’était fait doubler sur l’autoroute London/Birmingham alors qu’il était lui-même à 240 km/h… Intrigué, il a derechef contacté Rolls-Royce pour leur demander quel était ce nouveau modèle aussi rapide.
Ce qui, ajouté à l’infamante couverture, a fait déborder la marmite ou mijotait la sortie d’une nouvelle Rolls-Royce… Etait-ce la bizarrerie “stretched” à carrosserie Capri ? Ford achetait-il Rolls Royce ? Même la Reine s’en est inquiétée ! Le prestige de la perfide Albion était menacé, la couronne Britannique pouvait vaciller ! Même en l’absence d’Internet et des réseaux sociaux, la voiture faisait le buzz à chaque apparition et la télévision s’y intéressait.
Pis que tout “The Beast” bat un record de vitesse homologué par le Guinness Book. La fausse Rolls commence à devenir encombrante pour la société Rolls-Royce qui voit cette soudaine notoriété d’un très mauvais œil. Le TamTam médiatique produit du procès que va lui faire Rolls-Royce pour usage sans autorisation du nom Rolls Royce et de la célèbre calandre emblématique, va mettre John Dodd en péril…
Le coût du procès, les frais d’avocats et la perte d’image de Rolls-Royce sous forme de dédommagements financiers sont insoutenables ! En point d’orgue la voiture va s’enflammer… Le TamTam se remet à battre, on dit que c’est sans doute à force d’enflammer les foules ! Serait-ce plus vraisemblablement un coup des sévices Secrets de Sa Majesté ? L’affaire prend une tournure politique, Rolls Royce et la Couronne chancellent. Il faut réagir en force…
Sous la supervision et couverte par les fonds secrets intarissables de John Dodd en une époque où on payait tout en cash et qu’on enfermait ses avoirs “liquides” dans un coffre chez soi, elle sera reconstruite et recarrossée façon “Shotting-Brake”, par Bob Phelps Bromley Fibre Glass Repairs, une société spécialisée dans la fibre de verre. Le résultat sera une automobile jaunâtre, étrange que John Dodd présente à nouveau dans des shows !
C’est l’injure ultime, la voiture est photographiée devant le Palais Royal encadrée de PomPomGirls dénudées… S’en est trop, Rolls Royce réactive le Procès ulcéré ! La direction du constructeur anglais ré-engage le combat devant les tribunaux. John Dodd explique alors que “The Beast” n’est plus l’ancienne “The Beast”, que la rumeur de l’incendia par les services secrets est une rumeur, qu’en réalité, c’est un événement inattendu qui a bouleversé tous ses plans :
“Alors que je ramènais “The Beast” d’un salon en Suède, la voiture a tapé dans un trou sur la route à grande vitesse. Un des réservoirs d’huile de transmission s’est fendu, l’huile s’est répandue et a mis le feu à la voiture. J’ai tenté désespérément d’éteindre le brasier, en vain. The Beast a été réduite en épave, mais le châssis et le moteur étaient intacts. Loin de me décourager, j’ai fait reconstruire une autre carrosserie qui n’a pas tardé à refaire apparition dans la presse”…
Injure à la Cour, la voiture a toujours une calandre Rolls-Royce malgré l’interdiction ! Il faut de plus avouer (c’est de circonstance dans un Tribunal) que John Dodd était un bon communicant. Comme les articles se faisaient plus rares, il se garait dans Fleet Street, un quartier truffé de rédactions, capot relevé… Il n’en faudra pas plus à Rolls-Royce pour ressusciter sa plainte. Dodd est reconvoqué devant la Haute Cour pour violation de marque en récidive.
Provocateur, il n’hésite pas à se rendre chaque jour à l’audience au volant de la voiture, en prenant soin de la stationner juste devant l’entrée du tribunal. Non content d’exhiber l’objet du crime devant le tribunal chaque matin, il porte un pull avec le logo Rolls-Royce à l’audience. Le lendemain, Dodd va même se présenter devant la Haute Cour à dos de cheval avant d’attacher sa monture à la porte du tribunal. Une série de provocations qu’il va payer très cher.
Le procès, les avocats, les différents outrages à la cour coûteront à Dodd sa maison, ainsi que tous ses biens, dont un avion bi-moteur. Dodd à tout perdu, y compris le droit d’apposer à tout jamais une calandre Rolls-Royce sur sa voiture qui curieusement n’est pas saisie ou confisquée. John Dodd s’exile donc avec sa nouvelle “The Beast” sans calandre Rolls Royce, à Malaga, en Espagne ou il va y ouvrir un atelier de réparation automobile…
Voilà donc l’histoire de la Rolls dont Royce ne voulait pas ! La fiche technique est plus traditionnelle que le moteur aéronautique Merlin/Spitfire, avec un train arrière de Jaguar, diverses pièces de Wolseley, des suspensions disparates et un châssis maison. Il faudra à John Dodd beaucoup de patience et de boîtes automatiques explosées pour finalement inventer un système permettant à la boîte et au moteur de former un mariage heureux.
Aujourd’hui âgé de 90 ans, Dodd passe toujours ses journées à reconditionner des boîtes de vitesses de Rolls et de Bentley dans son atelier de Malaga. Et “The Beast” roule toujours pour le bonheur des badauds. Avec une consommation de 115 litres par cent kilomètre (plus d’un litre par kilomètre), les sorties se font rares. Rien que pour moi et GatsbyOnline, il a sorti “The Beast” de son antre… John Dodd m’a même donné quelques conseils d’avance…
“Je coupe le contact en descente. De cette façon, j’obtiens 5 à 6mpg plutôt que 2mpg (on fait trois kilomètres par litre plutôt qu’un litre par kilomètre Ne faites aucune différence dans ma façon de conduire. The Beast n’a pas de direction assistée, vous voyez”… Il crie. Il doit être entendu au-dessus du cliquetis phénoménal qui rend le moteur inaudible. C’est quelque chose ! Il ajoute : “La boîte de vitesses est élévationniste, c’est mon invention. Cela deviendra plus calme avec la vitesse”…
Moi, je l’espère. Je suis mal à l’aise, à 73 ans je n’ai plus l’âge des conneries. Mais John en a 90… Il fait 34 degrés dehors, le double dans l’habitacle et il n’y a pas d’air conditionné… J’essaie de négocier un petit îlot de circulation dans une voiture de 50 ans qui est plus longue qu’une Maybach, a un moteur pesant la meilleure partie d’une tonne et aucune assistance de direction. De plus, une bouffée distincte d’essence se mêle à une odeur de caoutchouc brûlé.
Ce ne sont pas les pneus, mais les semelles de mes chaussures… À l’époque où j’étais en pantalon court avec mes genoux croûtés, j’étais obsédé par les faits et les statistiques, imbattable et jamais loin d’un Livre Guinness des records bien rempli, ma bible. Ma section préférée ? “Le monde mécanique”. Je ne peux pas écrire pourquoi exactement, mais malgré une imagination trop fertile, je ne pouvais pas concevoir qu’on fasse éclater un moteur d’avion V12 de 27 litres !
Qui plus est, de la Seconde Guerre mondiale et le fasse fonctionner dans une bagnole. Quelle chose sublime, extravagante et stupide à faire. Si stupide que plus tard, fin des sixties, j’ai commencé à douter que “TheBeast” (car c’était son nom) ait même existé. Je n’en ai même pas réalisé un article du temps de mes Chromes&Flammes… La honte ! J’ai donc décidé de la retrouver. Pour être honnête, je pensais que c’était une recherche qui se terminerait à la ferraille.
De toute évidence, ce n’était pas le cas. La première partie à St-Tropez avait été facile. Allumer l’ordinateur, pointer le navigateur sur Google et parcourir divers articles de Wikipédia, des forums, même un vieux clip de Top-Gear sur YouTube (une présentation maniaque de Steve Berry). La recherche d’une journée a été résumée comme trop d’informations contradictoires. Plus je lisais, plus j’étais aspiré, même si tout était formulé dans la même phraséologie.
Voyez vous-même : “certains disent”, “la rumeur dit que”, “selon la légende”… Apparemment, le moteur provenait d’un char ou provenait d’un Spitfire ou n’était pas du tout un Merlin, prétendument qu’il avait brûlé en cendres, que John vivait maintenant en Espagne et sa voiture en cours de reconstruction et soi-disant qu’il avait détruit une Porsche sur l’autoroute et était capable de 300km/h et plus. Il n’y avait pas assez d’indices et trop de suggestions….
Restait à localiser les endroits où je pourrais en savoir plus, que des contacts qui n’ont abouti à rien. Et puis quelque chose. Une adresse e-mail, qui est devenue plus tard un numéro de téléphone, qui a donné un mobile étranger et, moins d’une semaine plus tard, une poignée de main dans une unité industrielle poussiéreuse à un kilomètre de l’aéroport de Malaga… Le type qui me pompait vigoureusement la main étant John Dodd, léger, sinueux et dur.
Fier propriétaire à 90 ans du garage “Caja de Cambios Automaticas” et toujours propriétaire de l’engin fantastique juste à ma droite. La voilà “The Beast”, audacieuse comme du laiton, beige jaunâtre éclatant et éclipsant l’ombre garée derrière elle : “The Beast”. C’est exactement comme je m’en souvenais. Quelque chose de Buck Rogers avec des portes récupérées d’une Ford mkIII Cortina…John veut parler, et je suis tout ouïe.
Trouver la Bête est une chose, mais pouvoir discuter longuement avec l’homme responsable de son existence en est une autre. Nous commençons par le commencement : “C’était l’idée de Paul Jameson. C’était un génie. Il a construit le châssis et m’a demandé de faire la boîte de vitesses. Ah, la boîte de vitesses à adapter à un moteur V12 Merlin de27 litres et 2000 chevaux pour parler amicalement à un essieu arrière Jaguar XJ12, mais j’avais la réputation d’être un gourou de la boîte de vitesses automatique, c’est toujours le cas. J’ai conçu et construit une boîte élévatrice pour permettre au Merlin à bas régime (120 tr/min au ralenti) de se connecter à une boîte de vitesses à trois vitesses GM Turbo 400 sans se briser en morceaux. Je n’ai jamais eu le temps de l’affiner. J’aimerais le faire un jour et ajouter la direction assistée, aussi. Mais au moins maboite fonctionne correctement. De plus, la plupart des gens qui placent des V12 Merlin 27.000cc dans des voitures, ne peuvent pas les garder au frais. Rolls Royce ne les a pas conçus pour être mis dans des voitures”…
Nous ouvrons le capot (c’est un travail à deux). Le V12 Merlin y est niché paisiblement, ses deux derniers cylindres sous la cloison pare-feu : Ce moteur était très avancé à son époque” dit Dodd, sérieusement : “Celui-ci ne provenait pas d’un avion Spitfire mais d’un avion Boulton Paul Balliol. Tout y est en aluminium, deux bougies/étincelles par cylindre, c’est une règle de l’aviation, bien sûr, et carter sec. J’ai changé le mien en carter mouillé. Aide au refroidissement. Tout comme le réservoir d’huile de 100 litres et un radiateur d’eau de la taille d’un réservoir d’essence. Personne n’est tout à fait sûr de la puissance produite par le moteur, mais 2.000 chevaux est la meilleure estimation”…
J’interroge Dodd sur l’histoire légendaire d’un baron allemand au volant d’une Porsche qui aurait téléphoné à Rolls-Royce pour s’enquérir de son nouveau modèle après que “The Beast” l’ait dépassé sur l’autoroute (à l’époque, la voiture avait une calandre Rolls)… “C’était moi !” dit-il en riant. “C’était juste pour m’amuser un peu. J’avais l’habitude de le faire assez souvent en fait. Appelez les vendeurs avec un drôle d’accent, dites-leur que j’avais vu cette voiture faire 300km/h, quelle avait un arrière de Ford Capri et demander si Ford avait racheté Rolls Royce… Le plus que j’ai atteint était 185km/h. Au-delà de cela, c’était risqué, il y avait toujours un risque que le volant d’inertie se désagrège et j’avais déjà vécu les pneus se désintégrer à 150km/h sur la route de Pebble Mill. Horribles ces Firestones. Mais elle était stable comme un roc à grande vitesse, absolument magnifique. Jusqu’à ce que j’arrive à un virage, bien sûr. Alors elle devenait un peu délicate. La Bête est une vieille fille irascible, elle n’aime pas la circulation, n’aime pas la chaleur, n’aime pas les petites routes et a une soif déchaînée. Ma règle est d’un litre par kilomètre”…
Je fais un calcul mental rapide qui confirme le litre d’essence par kilomètre. Il y a cependant des raisons d’être joyeux. C’est un matin éblouissant, nous avons bien déjeuné et la Bête est prête à gronder. Je saute maintenant dans le siège passager, les pieds posés sur un enchevêtrement de fils et un extincteur de taille industrielle. Il y a une ligne d’interrupteurs que John est occupé à manipuler. Contact, puis pompes à carburant, amorcer le moteur, puis le démarreur : “Oh, j’ai oublié les magnétos”... Il y a une toux poussiéreuse. Puis une autre. Et une autre. Enfin le V12 toussote.
Pendant une seconde, vous c’est un soupçon de Spitfire, mais il est étonnamment docile et respire cool en raison des échappements de sortie correctement silencieux. Puis le bruit mélodieux est remplacé par une mêlée mécanique cataclysmique. La boîte de vitesses se trouve juste à côté de ma jambe. Je jure que le tunnel de transmission palpite. Ma tête aussi. John opte pour un engrenage, peu importe lequel… et il y a une embardée soudaine et violente alors qu’il s’engage. Les freins sont relâchés et nous sommes partis. Les pensées se précipitent en tête. Où s’arrête le capot ? Cette bête est trop proche des jambes.
Ce type n’est sûrement pas assez fort. Y a-t-il des bouchons d’oreilles? Je n’arrive pas à croire que je suis là ! Était-ce vraiment une bonne idée ? Ensuite, nous sortons du hangar. Opérationnel sur une route à deux voies, le moulin satanique s’apaise et le Merlin trouve sa voix. Ce n’est pas aussi menaçant ou fort que je m’y attendais, mais sonore, bourdonnant. Puis, au fur et à mesure que nous accélérons, cela devient un gémissement aigu. Il est difficile de croire qu’il y a 27 litres qui pompent à l’avant. Puis je remarque la vitesse. Ce n’est pas que nous accélérons particulièrement fort, mais c’est la manière dont cela se passe !
Il y a à peine un mouvement du compte-tours, mais il y a un gain de rythme soyeux, comme se tenir debout dans un vent fort et se pencher en arrière, le sentir vous soutenir. C’est merveilleux. Et puis c’est à mon tour de conduire. John est nerveux; seule une poignée d’autres personnes – trois, estime-t-il – ont déjà conduit la Bête. Alors, qu’est-ce que c’est ? Eh bien, voici la chose. Si vous deviez concevoir le pilote parfait pour la Bête, il aurait accouplé les pieds de Fred Astaire au haut du corps de Giant Haystack. De cette façon, vous pourriez être tout délicat avec l’accélérateur tout en donnant à la direction le pourquoi en tant qu’être humain normal, vous vous retrouvez à caresser l’accélérateur avec crainte tout en soulevant frénétiquement sur le volant.
Que je puisse manipuler la direction est une surprise, d’autant plus que la jante en bakélite est sur le point de s’effondrer en poussière. Les ronds-points, même assez grands, nécessitent une fermeture complète. Mais au fur et à mesure que je m’y habitue, la réalisation commence. La Bête est en fait une vieille chatte qui ne mord pas si on pousse l’accélérateur, elle aime être entraînée, et tant que vous n’avez besoin que de faire de petites entrées, changer de voie, par exemple, il est facile et léger de la guider. Le freinage est une autre affaire. L’inertie pure signifie que ralentir à grande vitesse est une entreprise brutale.
En ce qui concerne le départ, vous connaissez cette sensation que vous ressentez juste avant le décollage lorsque le pilote accumule de la puissance tout en maintenant l’avion sur les freins ? C’est ce que c’est quand vous laissez la Bête foncer droit devant. Si on relâche la pédale cette transmission ne rampe pas, elle pousse ! Manutention ? Eh bien, imaginez une voiture avec la suspension avant et la direction d’une Austin 110 Westminster du milieu des années 60, l’essieu arrière d’une Jaguar XJ12 du même millésime et, entre les deux, un châssis en grande partie fait maison avec un moteur vieux du mitan de la guerre de ’40 comme membre stressé. Alarmant, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est cette voiture. Le trajet est raisonnable, mais sophistiqué ? Et puis un tuyau de liquide de refroidissement commence à siffler. Fin du jeu.
Nous nous rapprochons “de la maison” en boitant. Mais à part ce petit problème, je suis étonné de voir à quel point la Bête a bien résisté à la chaleur, à la conduite à basse vitesse et aux arrêts constants. Tout de même, vous n’avez pas besoin que je vous dise qu’elle a besoin d’avoir beaucoup de moyens financiers, c’est l’une des raisons pour lesquelles John Dodd pense à vendre… J’ai mon vol de retour à prendre, mais j’ai du temps pour une dernière question: : “L’ avez-vous vraiment utilisée quotidiennement ?”... Et John de me répondre : “Eh bien, je l’ai conduit du Royaume-Uni à l’Espagne et retour trois fois, j’ai même remorqué une caravane avec elle. Oui, dans le Livre Guinness des records depuis des années elle est mentionnée comme ayant fait je ne sais plus combien de mph à Silverstone. Mes épaules s’affaissent. Je n’en ai plus aucune idée”…