Quand les Beach Boys faisaient vrombir les Hot-Rods…
La bande-son d’une obsession américaine pour la vitesse, le soleil et la jeunesse a perdu une légende. Le décès de Brian Wilson des Beach Boys à l’âge de 82 ans marque la fin d’une époque définie non pas par des scènes de surf parfaites pour les cartes postales, mais par quelque chose de plus profond, de plus fort tel que symbolisé par les chromes et les flammes. Sa musique faisait écho au bourdonnement de moteurs V8 de Hot Rod’s tournant autour d’un grand pâté de maisons, à la chaleur granuleuse d’un ampli à lampes et à l’été sans fin qui coulait dans les haut-parleurs des Hot Rod’s, Kustom’s et Street Machines, de Hawthorne à Hartford… Réduire les Beach Boys à un “Groupe de surf”, c’est comme appeler un Big Bloc Hemicuda juste un V8… Ce que Wilson et ses frères ont fait, c’est embouteiller une époque, un lieu et un ensemble d’aspirations de Hot Rodder’s dans une harmonie à trois voix et un écho de bande.
Les planches de surf étaient des accessoires. Les Hot Rod’s étaient parole d’évangile. Les Beach Boy’s n’écrivaient pas seulement des chansons sur les filles sexy et la drague, ils documentaient une adolescence mécanique où un V8 409ci était plus qu’un moteur, c’était une identité. Dans le monde des Beach Boys, les temps d’un quart de mile (400 mètres) pour dragster’s étaient des enjeux émotionnels toujours élevés. Ainsi, en l’honneur du décès de Brian et du catalogue d’adoration de l’accélérateur qu’il a aidé à construire, ChromesFlammes jette un coup d’œil aux chansons de Hot Rod’s et Kustom’s et Street Machine’s les plus emblématiques des Beach Boys.
409 – L’hymne national “à carburateurs quadruple corps” célèbre le V8 chevrolet 409ci avec cette phrase emblématique du régime et la phrase “She’s real fine, my 409”. C’est une lettre d’amour au Big bloc avec une totale sincérité mécanique…
Little Deuce Coupe – C’est à propos d’un Hot Rod Coupé Ford’32, probablement Flathead, peut-être avec des pièces Ardun faites pour qui avait envie de fantaisie. Le titre à lui seul est devenu un raccourci pour chaque Hot Rod qui compte.
Shut Down – Une course de dragsters fictive entre une Corvette Sting Ray et une Mopar à moteur 413ci…. “Tache-le, tache-le, mon pote va te faire taire”… C’est de la pure poésie de courses entre feux de trafic…
Fun, Fun, Fun – Une fille vole la T-Bird de son père. Elle s’imagine qu’ainsi elle est la reine des boulevards. Son père intervient pour récupérer sa T’Bird et la fille lui rétorque que ce n’est pas une Shelby, pas une Racing Car, mais juste une simple “Teenage flex machine”….
I Get Around – Un hymne de croisière avec fanfaronnade et vitesse : “Nous prenons toujours ma voiture parce qu’elle n’a jamais été battue”… Pensez aux pneus à carcasse diagonale et à trop de pied droit au plancher qui mènent à un “Tout droit dans le décor”….
Don’t Worry Baby – Inspiré par les courses de dragsters, émotionnellement plus explosif que du nitrométhane. “A love song soaked in fear and fenders”.
Car Crazy Cutie – Une fille au volant d’une Stingray injection ? Possible . Un 427 ? Ouuuuui, s’il vous plaît…. La zique concerne plus la fille que la voiture, mais la fille est la voiture, spirituellement parlant.
Cherry, Cherry Coupe – Une feuille de construction de Hot Rod sous forme de chanson : “Go cherry, cherry coupe now. Probably red. But definitely fast”...
This Car of Mine – Un ode personnel à un “Jalopy” que personne qui le possède ne vendra jamais…. Quiconque a déjà nommé une voiture l’obtient.
Spirit of America – Hommage à la voiture de vitesse de Craig Breedlove qui a lancé les courses de Bonneville. Une chanson d’amour aux voitures-fusées et à la fierté nationale américaine… America First avant Donald Trump….
Ballad of Ole’ Betsy – Née à Détroit et ayant un corps sexy mais long, Betsy est la fille d’à côté qui mesure 17 pieds de long et fonctionne avec de l’essence au plomb à l’ancienne…
Custom Machine – Fanfaronnade sur mesure, avec peintures enflammées, tuyaux d’échappements latéraux crachant des flammes et fierté américaine…
No-Go Showboat – Tout aboie, pas de go. Le poseur avec sa bagnole toute chromée du parking. “Il a juste l’air d’un roi” Tout le monde en rêve…
Our Car Club – C’est la fraternité par le biais de la puissance. Graisse sous les ongles, autocollants sur la vitre. Appartenance viscérale à un clul déterminé.
A Young Man Is Gone – Un hommage obsédant à James Dean. Sombre, minimal et discrètement dévastateur, fait uniquement de la manière dont Wilson le chantait. Unique à avoir des frissons dans le dos…
Les Beach Boys n’ont pas été les premiers à chanter sur les voitures, mais ils ont été les premiers à en faire une forme d’art. Avant eux, c’était Chuck Berry avec “Maybellene”, et après eux vint Bruce Springsteen… Mais Brian Wilson a appuyé sur l’accélérateur comme un chef d’orchestre symphonique fanatique de Hot Rod’s pourrait le faire. Il n’a pas seulement écrit sur les Hot Rod’s, il les a entendus. Leurs moteurs bourdonnaient en harmonie avec les couches vocales “Brian Wilson approached the throttle like a symphony conductor. He didn’t just write about cars, he heard them. Their motors humming in harmony with vocal layers, the whoosh of air through carbs mirroring a breathy falsetto. “Pet Sounds” and “Smile” got the critics, but the car songs got the kids”.
Il n’y a pas que le surf dans les chansons des beaux Californiens. Mais aussi les belles américaines. Entre les voitures et le rock, la relation a toujours été torride. A partir de la fin des années 1950, la musique, comme l’automobile, change radicalement. L’une et l’autre ont en commun de faire beaucoup plus de bruit qu’auparavant, mais aussi de s’imposer comme un terrain d’expression et d’indépendance pour la génération du baby-boom. La voiture n’est pas seulement au centre de la consommation de masse ; produit de la technologie et vecteur de l’affirmation de l’individu, elle ne tarde pas à entrer en résonance avec la culture rock’n’roll. On la retrouve dans les chansons mais aussi au cœur du folklore des groupes et artistes qui vont faire la légende du rock’Roll… Les années Chromes, ça déménage….
Les Beach Boys ne chantent pas seulement les Californiennes blondes et bronzées qui font du surf. Les belles américaines de General Motors, Dodge ou Ford les inspirent aussi. En fait, jamais un groupe n’a inclus dans son répertoire autant de bagnoles nommément citées. Un vrai catalogue de la production US, surtout les modèles qu’utilisent certains jeunes afin de concevoir des Hot-Rod’s surpuissants au volant desquels ils se livrent à des courses de rues. Le paradoxe de cet intense “name-dropping”, c’est que Brian Wilson et consorts ne sont pas vraiment versés dans l’automobile classique, au contraire de certains paroliers mis à contribution. Lui c’est Hot Rod forever… Faire ainsi la part belle à la culture automobile du début des sixties permet au groupe d’entretenir un lien de proximité avec la jeunesse américaine qui baigne dans une société de consommation en pleine éclosion où les voitures avec des moteurs puissants, particulièrement les Hot Rod’s occupent une place de choix, la première !
Little Deuce Coupe / https://youtu.be/piKfnqIxggE
Ce nom est celui d’un vieux modèle, une Ford Roadster de 1932 (d’où le terme de “deuce” qui désigne le 2 et le deux-places à la fois) reconditionnée pour les fameuses courses de rues qui, au début des années 1960, voient s’affronter des hot rod’s. En Californie, tout ce petit monde se mesure lors de courses effrénées sur la voie publique dans des conditions de sécurité plus qu’approximatives. La Ford Roadster Deuce fait sensation par ses performances – ce fut la voiture préférée de Bonnie Parker et Clyde Barrow – elle est équipée d’un V8. Trente ans après sa sortie, elle peut toujours tenir la dragée haute aux modèles plus récents sur une courte distance; notamment grâce à son poids beaucoup plus léger. La Little Deuce Coupe de la chanson éponyme des Beach Boys (on prononce “coupe” à l’américaine et non pas “coupé”), dont on peut retrouver un modèle dans le film de George Lucas American Graffiti (1973), fait l’objet d’une description technique assez pointue. Les paroles détaillent son “flat head mill” (son “moulin dont les cylindres sont aplatis dans sa partie supérieure), son embrayage de compétition ou encore ses sorties d’échappement chromées.
4-0-9 / https://youtu.be/8_q37B8iPBY
La chanson “409″ célèbre non pas un modèle mais un moteur, 4-0-9 désignant la cylindrée (409cubic inches soit 6,7 litres, ce qui n’est pas rien!) du moteur de la Chevrolet Bel Air Sport Coupé. Introduit en 1961, ce V8 également appelé «turbo-fire» délivre 360 ch mais les sorciers des courses de rues en tirent une cinquantaine de plus pour abattre le 0 à 100 km/h en 4 secondes. Dans cette chanson émaillée du grognement émis par une vigoureuse montée en régime du sacro-saint 4-0-9, la «Hot-Rod-Mania» s’exprime à travers un modèle qui parvient toujours “à tourner en réalisant le meilleur temps”. Coauteur de la chanson, le parolier Gary Usher était lui-même un fan de ces courses et propriétaire d’une Chevrolet qu’un 4-0-9 faisait rugir.
Ford Thunderbird / Fun, Fun, Fun / https://youtu.be/lC3-N0nfO1k
La référence la plus connue à la célèbre Ford Thunderbird dite «T-Bird» (1955) est la chanson «Fun, Fun, Fun». Elle raconte les frasques d’une jeune fille qui a emprunté la T-Bird de papa en lui laissant croire qu’elle doit se rendre à la bibliothèque alors qu’elle participe en fait à des courses qui ont fait d’elle un as du volant. “And she’ll have fun, fun, fun till her daddy takes the t-bird away” («Elle va bien s’amuser jusqu’à ce que son papa lui reprenne sa T-Bird»), se moquent les Beach Boys. Ce qui, évidemment, finit par se produire. Curieux, quand même, ce Daddy qui roule en T-Bird, une sportive destinée à une clientèle de jeunes – certes pas autant que la Mustang et point du tout destinée à la clientèle des papas…
Chevrolet Corvette Stingray / Shut Down / https://youtu.be/9Dcu_kWzWQE
La chanson “Shut Down” consacre l’éternelle rivale de la Ford T-Bird: la Chevrolet Corvette (1953). Et plus précisément un modèle Stingray de 1963, ainsi dénommé pour sa partie arrière allongée dont le dessin évoque la queue d’une raie. Ce modèle, qui a toujours été considéré comme une icône par les esthètes, est ici pourvu d’un moteur à injection, vraie nouveauté pour une époque où l’on s’en remet généralement à de gros carburateurs gavés d’essence. Shut Down a ouvert des débats sans fin entre collectionneurs car on y assiste à une victoire autoritaire de la “fuel injected Stingray” du héros sur une Dodge “413 Super Stock”. Un modèle qui, pourtant, ne manque pas de répondant. Mais il est vrai que, dans le cinéma américain, la Dodge est souvent une voiture de méchant.
Little Honda / https://youtu.be/80jfGb4N81Q
Car Crazy Cutie / https://youtu.be/tjXFfgoarPQ
Cherry Cherry Coupe / https://youtu.be/RB7j2P-BLHI
I Get Around / https://youtu.be/BchXkabxn4A
Custom Machine / https://youtu.be/BpcGEOEeBb0
This Car Of Mine / https://youtu.be/94Lj-i1Qoz8
Bien d’autres chansons des Beach Boys célèbrent, avec des titres évocateurs, l’automobile de la drague et des courses sauvages de têtes brûlées (“Cherry Cherry Coupe”, “Car Crazy Cutie”, “I Get Around”, “Custom Machine”, “This Car Of Mine”…). Il en est une qui célèbre une moto. “Little Honda” rend un hommage plus qu’appuyé aux petites cylindrées de la marque japonaise («je passe la troisième, accroche-toi») qui, à l’époque, firent sensation. Cette marque de respect adressée à une géniale petite moto (groovy little motorbike) adresse aussi, en creux, une critique à Harley-Davidson, alors incapable de proposer autre chose que des machines pansues et techniquement datées. Ardents promoteurs de la voiture américaine, les Beach Boys ne furent sans doute pas surpris – et, financièrement, pas mécontents non plus – de voir une quantité semi-industrielle de leurs refrains transformés en musique de spots publicitaires pour nouveautés automobiles.
2 commentaires
J’aime beaucoup votre comparaison du journaliste d’Echappement (à mon avis c’est un ex’Nitro)… Il est vrai que quasi tous se sont retrouvés sans emplois, le redacteur en chef s’en sortant plus ou moins car musicien dans un Jazz-Band Parisien… Vous êtes nommé “Lecteur de 1er classe” en remerciement de votre intervention/commentaire. Notez que s’il y a des démons et des moteurs derrière chaque chanson de bagnole sans doute qu’en arrière plan de mes textes sont tapis d’autres démons. Par contre je ne suis pas un fervent de zizique, j’aime le calme, le silence et si quelques explosions d’échappement de dragsters me transportent, ce n’est que furtif, comme la jouissance d’une copulation… Le repos qui s’ensuit est le bonheur du calme retrouvé, ce sont des moments de plus en plus importants avec le temps qui passe. J’ose comparer…
Concernant Phil Spector, j’en cause longuement avec photos ici : https://www.gatsbyonline.com/automobile/la-curieuse-histoire-authentique-de-la-cobra-daytona-coupe-csx2287-et-des-repliques-non-autorisees-qui-en-ont-ete-faites-348568/
Maître,
Votre article érige Brian Wilson en prophète mélodique d’une Amérique carburée à l’adrénaline adolescente, et c’est justice. Mais en creux de ces mélodies exaltées et de ces bolides lancés à plein régime, il manque peut-être l’ombre inquiétante d’un autre génie du son : Phil Spector. Car ce que Wilson a bâti avec “Pet Sounds”, c’est, au fond, un écho intérieur à la “Wall of Sound” du producteur enfiévré qu’il vénérait presque religieusement. Il n’a jamais caché son admiration pour lui, allant jusqu’à s’en rendre malade d’ambition en tentant de le dépasser. Et comme Spector, Wilson s’est retrouvé enfermé dans un labyrinthe mental construit de ses propres mains : paranoïa, réclusion, abus divers, et ce sentiment d’être plus à l’aise derrière une console que dans le monde réel. Les années 70 ont été pour lui des années de draps froissés et de psychotropes, avec des phases d’isolement quasi carcéral. Il ne restait plus qu’un fantôme de ce jeune homme blond qui rêvait d’autoroutes infinies. Mais là où Wilson fut sauvé, au moins partiellement, par la musique et quelques mains tendues, Phil Spector s’enfonça lui dans un délire de toute-puissance funeste. Après des années de caprices mégalomaniaques, de paranoïa armée et de nuits peuplées de call-girls et de flingues, il finira par assassiner Lana Clarkson dans le hall glacé de son manoir gothique en 2003. C’était l’ultime crash : pas de drag race, mais une détonation. Condamné à 19 ans de prison, il mourra en 2021, abandonné de tous, sans bruit, comme un journaliste d’Echappement après la chute de Michel Hommel. Cette symétrie entre les deux hommes : deux génies sonores, deux labyrinthes mentaux, deux vies en réclusion, ajoute une note mineure et obsédante à l’accord majeur de la Californie rêvée. Wilson, lui, aura au moins eu droit à la lumière du salut. Ce que Spector n’a jamais cherché. Cette chronique qui nous ramène à l’essentiel derrière chaque chanson de bagnole, il y a des moteurs, mais aussi des démons. Votre Lectorat.