Maserati : Les trois vies de la Ghibli…
Par Marcel PIROTTE
Maserati, un nom qui claque comme un coup de fouet ! Une firme automobile aujourd’hui centenaire, fondée en 1914 par les frères Maserati, mais qui au fil des ans, a connu pas mal de rebondissements en tous genres. Cette entreprise italienne qui avait pris pour emblème un trident inspiré de la fontaine de Neptune à Bologne, a en effet connu pas moins de six propriétaires différents, le dernier en date étant le groupe FCA (Fiat Chrysler Automobiles) qui depuis bientôt deux ans, a remis en selle un nom chargé d’histoire :Ghibli ! En fait, la traduction arabe d’un vent chaud et violent qui sévit au Sahara ainsi qu’en Lybie !
Pour les connaisseurs es-automobile, les deux premières générations de Ghibli étaient des modèles assez exceptionnels. Coupé et spyder dans les années soixante mais également une berline deux portes 4/5 places à la fin du siècle dernier, concurrente de la BMW M3. Du beau monde, vous en conviendrez. Avec l’arrivée de la Ghibli III en 2013, cette fois sous la forme d’une berline 4 portes, c’était pour moi l’occasion rêvée de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur mais également de vérifier ce que vaut cette familiale au sang chaud, après les divers articles de “Quelqu’un”…
Tous les possesseurs des anciennes Maserati vous le confirmeront, les différents modèles qui se sont succédés n’ont jamais brillé par une fiabilité exceptionnelle… et encore moins par un service après-vente de qualité. Ces divas coutaient en effet les yeux de la tête à l’achat mais également à l’entretien. Leurs propriétaires assez masos le savaient, mais n’osaient pas le crier sur tous les toits, une Maserati, ça se méritait, même s’il fallait y mettre le prix, mais que de sensations, du moins lorsqu’elles fonctionnaient correctement.
Aujourd’hui, difficile de soutenir le même raisonnement, les constructeurs allemands et anglais de voitures de prestige et de sport ont placé la barre tellement haut en termes de qualité et de fiabilité que les propriétaires, même les plus fortunés, n’admettent plus qu’une Maserati tombe constamment en panne pour des broutilles. Fiat en a fait les frais dès la reprise en 1987, essayant vainement d’améliorer la qualité de fabrication et surtout la fiabilité. Non sans peine, il aura en effet fallu dix ans et le regroupement de Ferrari et de Maserati, les ennemis d’hier, pour qu’une fusion soit possible.
Aujourd’hui, les contrôles de qualité nettement plus stricts (mais il y a encore moyen de faire mieux) ont enfin permis à Maserati de décoller dans les ventes mondiales. De 3.000 en 1989, la firme au Trident a produit en 2007 un peu moins de 7.500 exemplaires contre 36.500 l’an dernier (2014). Maserati renoue enfin avec le succès mais ce n’est pas fini, on parle de 50.000 unités pour cette année 2015 et de 75.000 en 2018..
Faisable, oui certainement, d’autant que de nouveaux modèles vont venir s’ajouter à la gamme : le grand SUV Levante ainsi que le coupé Alfieri, mais prière pour Ferrari et FCA de rester très attentifs à la qualité qui se doit d’être exemplaire tout en étant doublée d’une certaine exclusivité…
Mais revenons à la Ghibli, la première du nom : Salon de Turin en 1966 ! Le stand du carrossier italien Ghia est littéralement pris d’assaut ! Un tout jeune designer du nom de Giorgietto Giugiaro vient en effet de “crever l’écran” avec une réalisation qui ne manque ni d’audace ni de finesse : le coupé Maserati Ghibli !
C’est Omer Orsi, le patron de l’époque de la firme au Trident de Modène, qui avait déjà remarqué les talents de ce jeune designer, d’où cette véritable œuvre d’art combinant une ligne tout à fait spectaculaire avec une très faible hauteur de caisse : 1,16 m…, de quoi mettre à mal Ferrari et Lamborghini, d’autant que sous l’interminable capot de ce coupé, qui malgré une longueur de 4,59 m ne revendique que 2 places, Maserati installe un bloc de compétition, son V8 fétiche de 4.719 cm3 qui, gavé par quatre gros carbus Weber, livre 310 chevaux et 390 Nm de couple, la transmission aux roues arrière se faisant via une boîte mécanique ZF 5 vitesses.
Bâti autour d’un châssis tubulaire, ce coupé qui ne pesait pas loin de 1600 kg, repose sur des jantes de 15 pouces. Il y a quelques années, j’ai eu la chance de pouvoir conduire mais trop brièvement à mon goût une version SS de ce coupé très rare (fabriqué de 1967 à 1973 à 1.149 exemplaires auxquels on peut y ajouter 112 spyder), qui au début des années ’70 voit sa cylindrée grimper à près de 5 l pour 335 chevaux et surtout 480 Nm de couple !
A l’intérieur, grand luxe et volupté, la concurrence ne peut faire aussi bien !
En revanche, la suspension arrière plutôt rustique, ressorts elliptiques, n’est pas le point fort de ce coupé plus GT que sportif, préférant, et de loin, les grands espaces et les longues courbes aux virages serrés ! Mais que du bonheur avec ce V8 onctueux, débordant de couple dès la moindre pression sur l’accélérateur qui pouvait atteindre 275 km/h en pointe (en fait, personne n’a jamais osé pousser cette machine aussi loin), alors qu’il ne fallait que 7 secondes pour atteindre 100 km/h…, mais côté consommation, comptez entre 15 et 20 l/100 km …, un superbe coupé, aujourd’hui, se négocie à plus de 200.000 €…
Après l’intermède Citroën (de 1968 à 1975) et la reprise provisoire de la firme de Modène par le GEPI, une entreprise d’Etat chargée de la relance d’entreprises en difficulté, c’est finalement Alejandro de Tomaso, constructeur de la Pantera, mais également de la berline Deauville (il contrôle également Innocenti ainsi que les motos Guzzi et Benelli), qui pour une bouchée de pain, devient le nouveau propriétaire…, avec d’emblée un véritable coup de génie : le lancement d’un moteur V6 biturbo de seulement deux litres de cylindrée, fiscalement très intéressant pour les acheteurs italiens mais également à l’exportation, d’autant que cette version deux portes de 180 chevaux au design plutôt sage, vise bien évidemment la BMW M3 à laquelle, on lui trouve pas mal de points de ressemblance…
Avec ses trois soupapes par cylindres et un double arbre à cames en tête par banc de cylindres, ce moteur va évoluer au fil des ans pour se retrouver également sous le capot du spyder Zagato et même du coupé, sans oublier certaines berlines quatre portes. En plus de la version 2 l, la cylindrée grimpe à 2,5 l et même à 2,8 l alors qu’une toute nouvelle culasse à quatre soupapes par cylindres fait son apparition. Une belle mécanique sans doute très (trop) sophistiquée pour un réseau d’après-vente malheureusement peu formé et disparate, mais qui fera la joie des sorciers parvenant à régler et à mettre au point des moteurs aussi performants.
Tous les amoureux de belle mécanique vous le diront, une Ghibli II, fabriquée de 1992 à 1998 à un peu plus de 3.000 exemplaires, c’est le pied !
Pour autant qu’elle soit réglée par un maître es mécanique…, c’est aussi malheureusement le chant du cygne pour le bouillant Alejandro De Tomaso, qui devant l’insistance et les centaines de millions de lires du Groupe Fiat, va se débarrasser de cette marque emblématique !
La Ghibli II, berline trois volumes compacte, 4,23 m de long, deux portes, 4 places, très luxueuse et sportive à la fois, va succéder aux modèles biturbo, elle m’avait littéralement conquis à l’époque, pas tellement par son design pourtant un peu adouci mais assez fade, massif et carré, dû à Marcello Gandini…, mais bien par son côté bestial et ses performances tout à fait exceptionnelles.
A côté d’un V6 2,8l, elle proposait également un incroyable V6 2l biturbo/24 soupapes livrant 306 chevaux et 373 Nm de couple dès 4.250 tr/min ! Plus de 150 ch/l, autant dire qu’avec un poids de 1350 kg et de telles valeurs transmises au différentiel arrière autobloquant via une boîte 6 vitesses et des jantes alu de 17 pouces, difficile de s’ennuyer ! D’autant que cette italienne au sang chaud avec son volant et ses nombreuses appliques en bois précieux sans oublier des sièges en cuir, savait recevoir ! Mais conduire une Ghibli II exigeait beaucoup de patience et de concentration !
Interdit tout d’abord d’affoler les turbos au démarrage, il fallait attendre quelques minutes et la bonne température de l’huile avant de lâcher la gomme… et surtout lors de l’arrêt, il était impératif de laisser le V6 se reposer au moins deux minutes !
Sachant cela, la Ghibli II, mal aimée et méconnue, pouvait alors vous emballer et montrer ses feux rouges aux M3 de Munich ! En moins de 6 secondes, elle atteignait 100 km/h, abattait le km départ arrêté en 25 secondes, pointait à 265 km/h, pour une consommation moyenne qui frisait alors les 18 l/100 km !
Rien que des éloges pour ce V6 biturbo associé à une boîte très rapide (mais qui demandait un certain doigté dans la sélection des rapports), ses incroyables montées en régime ponctuées par une sonorité inégalée et surtout par ses reprises tout aussi fulgurantes. Côté conduite, sur sol sec, elle ne bougeait pas d’un mm, véritablement collée au sol, la Ghibli II en mettait plein la vue, mais sur revêtement humide, un peu gras ou bosselé, prière de se montrer moins téméraire avec la pédale de droite.
Voiture passion mais également passionnante à piloter, la Ghibli II n’est pas trop chère sur le marché de l’occasion : à partir de 15.000/20.000 € en Italie, on en trouve également en Suisse où elle a recueilli pas mal de succès.
Attention, cependant, cette véritable Diva plutôt capricieuse doit être entretenue de manière très scrupuleuse, sinon le remplacement de certaines pièces peut vous couter les yeux de la tête. Mais lorsqu’elle fonctionne correctement, c’est comme une merveilleuse maîtresse, difficile de s’en séparer !
Et d’arriver tout naturellement à la Ghibli de la troisième génération, sortie en 2013, quelques mois après la grande Quattroporte.
Pourquoi avoir ressorti des tiroirs ce nom chargé d’histoire ? Pour se rappeler aux bons souvenirs des passionnés de belles carrosseries qui en ont sans doute un peu marre de tourner en rond autour des références premium Audi A6, BMW série 5 et autres Mercedes classe E, sans oublier la Jaguar XF.
En fait, la Ghibli est une redoutable arme de conquête chargée de booster la production Maserati (l’an dernier, elle a représenté à elle seule pas loin de 70 % des ventes, soit 23.500 unités contre 9.500 Quattroporte et 3.500 coupés/cabriolets GranTurismo/GranCabrio), en offrant dès son lancement un choix de deux moteurs essence V6 biturbo de 330 et 410 chevaux mais surtout, et c’est une première pour la firme au Trident, un bloc diesel V6 trois litres, développé par une filiale de Fiat : VM Motori, un bloc que l’on retrouve également sur la Jeep Grand Cherokee mais également sous le capot de la grande sœur italienne, la berline Quattroporte.
Et les puristes de crier au scandale et de verser des larmes de crocodiles, un bloc à mazout dans une Maserati, sacrilège !
Porsche a fait de même, Jaguar aussi, ces moteurs ayant permis à ces deux firmes “premium” de connaître aujourd’hui le succès…, ne nous voilons dès lors pas la face.
La Ghibli, c’est la petite sœur de la Quattroporte, une berline quatre portes raccourcie de 29 cm mais qui frôle tout de même les 5 m de long avec un empattement de près de 3 m. Une familiale qui reprend les dessous de la dernière Chrysler 300 complètement remaniée depuis 2003 et dont la nouvelle plate-forme est prévue pour recevoir des roues arrière motrices ou la traction intégrale, le système Q4 (une ancienne dénomination Alfa ) réservé aux modèles essence…, du coup, les suspensions américaines ont été revues et adaptées, le freinage également tout comme le montage d’un différentiel mécanique arrière autobloquant.
Dans la logique industrielle du groupe FCA, cette plate-forme adaptée et raccourcie devrait également servir de base à la future grande berline Alfa qui sera dévoilée à l’exposition Milan fin juin prochain. Elle pourrait s’appeler Giulia et serait par définition une propulsion ou bien une quatre roues motrices. Encore un peu de patience…
Revenons à la Ghibli, dessinée par Marco Tencone, également responsable du style pour Alfa Roméo. Une berline superbement réalisée, belle à damner un saint, bref, une Maserati comme on les aime, partout où elle passe, cette Quattroporte en réduction déclenche des regards vraiment admiratifs. De ce côté-là, impossible de la louper, les proportions ont été bien respectées avec en prime une belle gueule dont le Trident semble vouloir avaler tout cru ce qui se présente devant lui…
Du plus bel effet avec en plus pour mon véhicule d’essai à propulsion (c’était la version diesel) une répartition plutôt bien équilibrée des masses, de l’ordre de 51/49.
Malgré l’utilisation d’aluminium, cette grande berline n’est pas légère du tout, de l’ordre de 1900 kg, elle rentre dès lors dans le rang, tout comme d’ailleurs la contenance de son coffre modulable avec dossiers arrière rabattable : 500 litres, bien dans la moyenne du segment. Dès que l’on ouvre la portière, ravissement pour les yeux, sièges en cuir, impression de grand luxe mais en y regardant d’un peu plus près, il y a moyen de faire nettement mieux, du moins pour une voiture proposée à 68.000 € en prix de base et qui, bien équipée, approche les 80.000 €.
Nettement plus chère que la concurrence germanique ou anglaise…
A ce tarif-là, il y a lieu d’être (très) exigeant et ne pas tolérer que la planche de bord s’inspire un peu trop de celle de l’ancienne Lancia Thema… et que certaines commandes soient empruntées à des modèles de grande série badgés Fiat ou Jeep.
La finition tout comme la qualité perçue reste plutôt superficielle, les plastiques font dans le bon marché, bref, un sérieux cran en dessous des modèles “premium” allemands…, en outre si les sièges avant s’avèrent très confortables tout comme la banquette arrière (mais pour deux occupants seulement), l’espace réservé aux jambes à l’arrière n’est pas exceptionnel, du moins pour une voiture de ce gabarit.
Le système d’info divertissement central fait appel à un grand écran tactile mais la recherche des menus s’avère fastidieuse. Compte tenu du prix, l’équipement de série aurait pu être un rien plus fourni, les sièges en cuir, les phares au Xénon, les jantes alu de 18 pouces font partie de la dotation mais c’est un peu juste.
Maserati rétorque que de nombreux packs existent. Prière dès lors de mettre la main au portefeuille pour des sièges avants chauffants, l‘aide au stationnement, la caméra de recul et bien évidemment le GPS… sans oublier des palettes au volant…
Peut mieux faire, d’autant que la firme de Modène fait véritablement l’impasse sur tous les dispositifs sécuritaires et les aides à la conduite, ils ne sont même pas proposés en option…Maserati semble avant tout privilégier le look, de quoi en mettre plein la vue mais la clientèle est en droit d’attendre davantage…
Sous le capot, on retrouve une bonne vieille connaissance, un beau V6 trois litres estampillé Maserati, mais qui en fait est un diesel mis au point par VM Motori, la filiale diesel de Fiat. Il présente bien, se veut imposant… et du coup, on découvre qu’il développe 275 chevaux pour 600 nm de couple entre 2000 et 2600 tr/min. Accouplé à une excellente boîte automatique 8 rapports (dont la commande via un joy stick pourrait être un rien plus précise), ce bloc à mazout pas très enthousiasmant au niveau du bruit est cependant pourvu d’une commande sport sur la console centrale assez géniale.
En plus de donner du tonus au niveau des changements de rapports et de la dureté de la direction, elle commande un clapet modifiant le bruit des quatre sorties d’échappement qui du coup laissent échapper un ronflement digne des meilleurs V8. Si cela n’est pas très audible par les occupants, en revanche, les passants n’en croient pas leurs oreilles, une Maserati V8, ça au moins, ça éveille tous les sens alors que la zone rouge du compte-tours de ce diesel débute à un peu plus de 4.500 tr/min.
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, Alfred de Musset avait vu juste…
Autant dès lors se faire plaisir à moindre coup, les performances de cette grande berline étant dans la bonne moyenne ( 250 km/h en pointe sur circuit, de 0 à 100 km/h en moins de 8 secondes ), des reprises assez spectaculaires en jouant sur le couple et en descendant rapidement les rapports, la Ghibli diesel ne chôme jamais sur la route, se contentant d’un peu plus de 9 l/100 km de gazole…, jugez de l’autonomie avec un réservoir de 70 litres.
Côté comportement, cette berline reposant sur des jantes de 19 pouces, peut s’avérer assez joueuse, incisive à l’attaque mais elle préfère et de loin les grandes courbes aux virages serrés, c’est une très grande routière plutôt confortable mais assez chahuteuse au niveau des suspensions encaissant parfois de manière très sèche les irrégularités du revêtement ou autres saignées de la chaussée.
Si le freinage pourrait se montrer un rien plus endurant, en revanche, la direction ne manque nullement de précision mais prière de tenir compte d’un diamètre de braquage frôlant les 12 m alors que la faible garde au sol ne fait pas toujours bon ménage avec les routes bosselées.
Un design à damner un saint, une ligne qui plait, une incroyable image de marque, on retrouve ici toute cette Italie pétillante, pleine de ressources mais également passionnée par “la bella macchina”.
La renaissance de Maserati fait plaisir, les chiffres sont là pour confirmer ce retour en grâce. Mais il ne faudrait pas que les cadences élevées de production et la chasse aux bénéfices se fassent au détriment d’une qualité amoindrie et que certains matériaux utilisés donnent l’impression de bon marché.
Maserati ne peut et ne doit pas tomber dans ce piège qui laisserait la porte ouverte aux autres constructeurs “premiums” qu’ils soient allemands ou anglais. Une Maserati et à fortiori une Ghibli, la plus vendue, se doit d’être et de rester au top, irréprochable sur tous les plans…Avec une full garantie de trois ans, ça rassure mais à mon avis, il faudrait encore faire un peu plus.
Pourquoi ne pas en effet adopter le service Ferrari qui pendant sept ans permet au client de ne pas débourser un seul euro lors de l’entretien de sa voiture ?
La marque au Trident en sortirait encore grandie…
Marcel PIROTTE